À Paris, depuis novembre 2020, l’Accueil Louise & Rosalie offre à des femmes de la rue un lieu de ressourcement et de repos, avec différents services.
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Par Domitille Farret d’Astiès, le 9 mars 2021
Quelques voix féminines retentissent, on perçoit une légère agitation. Pendant qu’une bénévole gare son vélo dans la cour, une autre accroche sa veste sur le porte-manteau à l’entrée. Une tête apparaît dans l’embrasure de la porte et on entend un « Oh, sœur Clémentine ! » en chœur, tandis qu’une main dépose discrètement quelques morceaux de brioches. Il est 8h30 en ce matin de février, et à quelques pas du Bon Marché, à Paris, l’accueil Louise & Rosalie s’éveille. Sophie, Laetitia, Rosemary, Dominique et Véronique s’activent pour accueillir les premières femmes à 9h.
Ouvert en novembre 2020, ce lieu lancé par la Société de Saint-Vincent de Paul, la Fédération des Équipes Saint-Vincent et la congrégation des Lazaristes est dédié à l’accueil des femmes de la rue. Tout est pensé pour qu’elles puissent se reposer, passer un moment convivial et bénéficier de plusieurs services : vaste salle d’accueil, cuisine, pièce de repos, douches, machines à laver et sèche-linge. En résumé, ici, elles sont chez elles.
Les bénévoles s’assoient dans les fauteuils en cuir clair et se répartissent les services : Véronique s’occupera de l’accès à la laverie, sa voisine veillera au flux des douches et une autre préparera le café. Après un court temps de prière, les voilà fin prêtes pour l’accueil. Premier coup de sonnette : toutes se lèvent, comme propulsées par un ressort. Nathalie arrive et après un bref « bonjour », se dirige vers les douches. Quelques minutes après, Anne entre à son tour, pose ses affaires et va directement recharger son téléphone. Le lieu s’anime petit à petit.
Une troisième femme fait son entrée. Une odeur de pain grillé flotte dans la pièce. Dominique passe la tête par la fenêtre de la cuisine ouverte qui donne directement sur la grande salle : « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? ». Au choix, café, camomille, romarin, menthe. À ce moment-là, Yousra fait une entrée retentissante et lance un « bonjour » sonore à la cantonade. Puis c’est au tour de Carole de débarquer, tirant un chariot sur lequel sont entassés plusieurs sacs. Immédiatement, elle sort une paire de gros chaussons en tricot ornés de fleurs rouges qu’elle enfile. Comme à la maison.
Chacune de ces femmes vit une réalité différente. « Les situations sont très variées. Certaines sont vraiment à la rue, d’autres sont mal logées ou viennent parce qu’elles sont très seules », explique Sophie de Villeneuve, qui coordonne la matinée. « Le lieu est pratique, convivial, chaleureux. Elles ont des vies compliquées : si elles reviennent, c’est qu’elles sont heureuses de venir ». Pour le moment, l’accueil est ouvert quatre demi-journées par semaine. Dans un deuxième temps, l’objectif est de l’ouvrir plus souvent et plus longtemps.
Les bénévoles sont formés et assistent régulièrement à des relectures avec un coach. « On ne vient pas ici pour être gentille une fois par semaine », insiste Sophie de Villeneuve. « On vient pour se faire l’hôte de la personne en grande difficulté qui demande à être accueillie, parfois avec des paroles blessantes. Cela permet de sortir de sa coquille, d’entrer en contact, de se mettre à la hauteur de l’autre et de savoir accueillir ce qu’il a à dire et à apporter. Quand on fait des pompons avec les autres, on est sur un pied d’égalité. Nous essayons de faire passer un message d’amitié et un peu d’humanité dans ces vies qui en sont dépourvues ».
« Je viens ici pour retrouver un semblant de lien social parce qu’avec le Covid… », glisse justement Anne d’une voix basse, une tasse de café à la main. Un peu plus loin, Yousra et Carole s’esclaffent en parlant de la Saint-Valentin. « Est-ce qu’il y a des amoureux ici ? », crie Yousra avant de s’embarquer dans un grand éclat de rire. De retour de la douche, Nathalie va s’asseoir un peu plus loin avec son café et observe la scène. Dominique débarque avec un plateau de brioches. « Ça fait un peu Ritz », observe Anne. Laetitia tend des couverts à Yousra : « Voilà, Madame », lui glisse-t-elle malicieusement.
Âgée de 64 ans, cette dernière se décrit comme Française d’origine marocaine. Dans sa vie d’avant, elle a été couturière, femme de ménage, gouvernante, surveillante d’immeuble… Et elle a même serré la main du roi du Maroc, affirme-t-elle non sans fierté ! Aujourd’hui, elle habite au huitième étage d’un immeuble parisien, dans une chambre de bonne d’à peine 9m2, sans douche. Certains matins, elle fouille les poubelles dès 5h30 afin de trouver de quoi manger. Ses enfants habitent loin et elle vivote grâce à de la vente à la sauvette tantôt à Barbès, tantôt Porte de Saint-Ouen ou à Belleville. Elle essaie de venir tous les jours à l’accueil Louise & Rosalie. Pour elle, c’est déjà la garantie d’une douche chaude. « J’aime bien laver mon corps et être propre. Je me sens légère », affirme-t-elle. Cela lui permet également de garder un lien social. « Parfois je me sens perdue, moral zéro, isolement, avec un poids sur les épaules ; j’ai envie de crier. En ce moment, c’est de pire en pire. Toutes les portes sont fermées, on n’a rien pour se laver et se faire à manger. Ils m’ont coupé le chauffage ».
Yousra papote de bon cœur en rangeant ses claquettes dans son sac Chevignon. « Ici, il y a de l’espace, du contact humain. L’isolement, je ne le souhaite à personne ». Pendant ce temps, Dominique raccompagne Nathalie tandis qu’une autre bénévole aide Nuon qui a des problèmes avec son téléphone. Dans le salon, autour des deux tables basses, certaines confectionnent des pompons, d’autres jouent au Scrabble, les dernières observent la partie.
« La matinée est très calme », note Véronique. Cette bénévole de 75 ans est psychologue et vient environ deux fois par mois. « Si on fait ce service-là, c’est que cela nous intéresse profondément. Il ne s’agit pas d’une bonne œuvre. C’est très doux et chaleureux humainement. Nous sommes tous tellement interpellés par ces gens, par terre dans la rue, auxquels on donne une petite pièce, mais sans savoir quoi faire. Ici, on nous offre sur un plateau de pouvoir faire un tout petit quelque chose. C’est une chance de pouvoir être bénévole et de voir ces femmes qui ont toutes tellement enduré, qui sont capables de gaieté, de ne pas se plaindre. C’est édifiant ».